Un rendez-vous reporté depuis deux ans et demi.

Publié le par Guillaume Gamain


Samedi 17 Novembre à 15h. C'est l'heure de mon rendez-vous avec B. Je suis à l'heure. Presque. Un peu en avance et un peu perdu. Cela fait deux ans et demi que je ne suis pas venu ici à Saint-Cloud 92210. Deux ans et demi pour parcourir les six kilomètres qui séparent mon habitation de la sienne. Je suis rassuré : les portes de sa résidence sont ouvertes. La dernière fois (pour les lecteurs assidus de POSITIVE, Pourquoi les morts se couchent-ils tôt ?), elles ne l'étaient pas.


Je me permets d'apporter une précision à la plaque ci-dessus. '"Dans ce cimetière reposent deux cent dix combattants morts pour la France. Et B."


Bien, bien, bien. Comment retrouver la demeure de B. au mileu de ce quartier résidentiel ? La mémoire va me revenir. En attendant, j'admire la bourgeoisie du lieu. Pas un bruit, pas de jeunes en skate, pas de rires. Tout est rangé, arboré, fleuri et propre. Cela me rappelle les abords du lac d'Enghein.


Dans la résidence de B., on a pensé à tout. La résidence parfaite. Les chiens ont leurs toilettes, à droite bien sûr, département des Hauts-de-Seine oblige. Et en plus, ils en sont fiers.


J'avance dans l'allée centrale à la recherche de quelqu'un ou quelque chose qui pourrait me renseigner, me dire où habite B.. Je regarde sur ma gauche. Rien. A part, le ciel qui menace de me tomber dessus alors que je suis déjà perdu au milieu des tombes muettes.


A droite ? Idem. Personne pour aider. Pas grave. Je m'arrête un instant et je deviens le spectacteur d'un combat hors du commun entre la lumière douce du soleil et les ténèbres du ciel qui luttent pour sauver ou bannir quelques âmes.


J'aime cet endroit de plus en plus. Quel luxe ! Ici, même les poubelles ont le droit à une pierre tombale.


Soudain, ce luxe me met mal à l'aise. J'aurais pu mettre des chaussures propres et cirés pour visiter B.. D'autant que je sais très bien qu'il sera en costume élégant. Quel petit con irrespectueux je suis !


Je tombe enfin sur trois pavillons accueillants. Je m'empresse de frapper à leur porte pour demander mon chemin. Pas de réponse. Un silence de mort qui me pousse tout aussi silencieusement à penser que les Triboulet, Bockairy et Anonyme sont des bourgeois peu serviables et que je trouverai B. seul.


Un kilomètre à pied, ça use, ça use. Un kilomètre à pied, ça use les pensées. Deux kilomètres à pied, ça use...


Le bout du chemin/tunnel n'est plus très loin.  Boum boum, boum boum, boum boum, boum boum.



Deux ans et demi sont passés. J'aurais dû venir plus tôt. Je ne pouvais pas. J'avais toujours une excellente mauvaise raison de ne pas me libérer. Je n'étais pas libre. je n'étais pas libéré. 
B., je n'ose pas te demander si tu vas bien. Comment peux tu, peut-on, vivre et être heureux dans ce bloc de béton. Je comprends mieux pourquoi les palais sont en marbre plutôt qu'en béton.

Deux ans et demi sont passés. J'espère que tu auras encore un peu de patience pour attendre une nouvelle décoration de ton lieu de vie. Je m'en occupe. Et cela avant les deux années et demi à venir.


Salut B.


Madame, monsieur, je vous prie de pardonner mon geste. j'ai volé un bouquet de fleurs en plastique dans la jardinière de votre tombeau. Je voulais venir voir B. les mains vides et le coeur plein, mais je ne pouvais partir sans lui offrir quelque chose qui égayerait un peu son triste habitat. Merci de votre compréhension. Cordialement, G.
 

Publié dans actu

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